Penseur de la complexité, le sociologue et philosophe Edgar Morin élabore une œuvre foisonnante. Au cœur de ses réflexions, l'homme, la civilisation humaine, la nature, la vie, la connaissance, le langage, la logique... Davantage reconnu du grand public que du monde scientifique, l'auteur de La Méthode fournit pourtant, du haut de ses 96 ans, des clés de compréhension pour penser le devenir de l'humanité. Pour ce penseur acharné, la « communauté humaine » se dirige inéluctablement vers deux futurs antinomiques mais inséparés : l'un « catastrophique » et l'autre « euphorique ».

Voici quelques éléments de son approche souvent très dense. Les thèmes abordés ci-après sont extraits principalement des 7 savoirs nécessaires à l'éducation du futur.

 

L’importance du fantasme et de l’imaginaire chez l’être humain est inouïe ; étant donné que les voies d’entrée et de sortie du système neurocérébral, qui mettent en connexion l’organisme et le monde extérieur, ne représentent que 2% de l’ensemble, alors que 98 % concernent le fonctionnement intérieur, il s’est constitué un monde psychique relativement indépendant, où fermentent besoins, rêves, désirs, idées, images, fantasmes, et ce monde s’infiltre dans notre vision ou conception du monde extérieur.
Il existe de plus en chaque esprit une possibilité de mensonge à soi-même qui est source permanente d’erreurs et d’illusions.

 

L’égocentrisme, le besoin d’autojustification, la tendance à projeter sur autrui la cause du mal font que chacun se ment à soi-même sans détecter ce mensonge dont il est pourtant l’auteur. Notre mémoire est elle-même sujette à de très nombreuses sources d’erreurs. Une mémoire, non régénérée par la remémoration, tend à se dégrader, mais chaque remémoration peut l’enjoliver ou l’enlaidir. Notre esprit, inconsciemment, tend à sélectionner les souvenirs qui nous sont avantageux et à refouler, voire effacer, les défavorables et chacun peut s’y donner un rôle flatteur. Il tend à déformer les souvenirs par projections ou confusions inconscientes. Il y a parfois de faux souvenirs qu’on est persuadé avoir vécus, comme des souvenirs refoulés qu’on est persuadé n’avoir jamais vécus. Ainsi, la mémoire, source irremplaçable de vérité, peut-elle être sujette aux erreurs et aux illusions.

Le paradigme cartésien disjoint le sujet et l’objet, avec pour chacun sa sphère propre, la philosophie et la recherche réflexive ici, la science et la recherche objective là. Cette dissociation traverse de part en part l’univers : Sujet / Objet. Âme / Corps. Esprit / Matière. Qualité / Quantité. Finalité / Causalité. Sentiment / Raison. Liberté / Déterminisme. Existence / Essence. 

Cette dissociation se retrouve aussi  dans notre nature profonde: "L’amour prend figure dans la rencontre du sacré et du profane, du mythologique et du sexuel. Il sera de plus en plus possible d’avoir l’expérience mystique, extatique, l’expérience du culte, du divin, à travers la relation d’amour avec un autre individu. 

Le cycle de reproduction génétique, qui nous envahit par le sexe, est à la fois quelque chose qui nous possède soudain et que nous possédons : le désir. C’est la première possession. L’autre possession est celle qui naît du sacré, du divin, du religieux. La possession physique qui vient de la vie sexuelle rencontre la possession psychique qui vient de la vie mythologique. Voilà le problème de l’amour : nous sommes doublement possédés et nous possédons ce qui nous possède, le considérant physiquement et mythiquement comme notre bien propre. Il n’y a aucun critère raisonnable de vie raisonnable. A la limite, on peut se demander si manger sainement, vivre sainement, ne pas prendre de risques, ne jamais dépasser la dose prescrite, est vraiment vivre, c’est-à-dire si la vie raisonnable n’est pas une vie démente. N’est-ce pas folie que de vouloir éradiquer la folie ? La vie comporte un minimum de dépense, de gratuité, de « consumation » (Georges Bataille), de déraison.

Castoriadis a dit : « L’homme est cet animal fou dont la folie a inventé la raison. »

Alors, être rationnel, ne serait-ce pas comprendre les limites de la rationalité et de la part de mystère du monde ? La rationalité est un outil merveilleux, mais il y a des choses qui excèdent l’esprit humain. La vie est un mixte d’irrationalisable et de rationalité. 

On ne peut pas vivre sans mythes, et j’inclurai parmi les « mythes » la croyance à l’amour, qui est un des plus nobles et des plus puissants, et peut-être le seul mythe auquel nous devrions nous attacher. L’amour fait partie de la poésie de la vie. La poésie fait partie de l’amour de la vie. Amour et poésie s’engendrent l’un et l’autre et peuvent s’identifier l’un à l’autre. Si l’amour est l’union suprême de la sagesse et de la folie, il nous faut assumer l’amour. Si la poésie transcende sagesse et folie, il nous faut aspirer à vivre l’état poétique, et éviter que la prose n’engloutisse nos vies, qui sont nécessairement tissées de prose et de poésie.

J’aimerais parler dans le cas de la poésie de ce que Georges Bataille appelait la « consumation », c’est-à-dire le fait de brûler d’un grand feu intérieur, opposé à la consommation, qui est un phénomène de supermarché. Il faut accepter la « consumation », la poésie, la dépense, le gaspillage, une part de folie dans sa vie… et c’est peut-être cela la sagesse. La sagesse ne peut être que mélangée à la folie. 

La sagesse doit savoir qu’elle porte en elle une contradiction : il est fou de vivre trop sagement. Nous devons reconnaître que dans la folie qui est l’amour, il y a la sagesse de l’amour. L’amour de la sagesse – ou philosophie – manque d’amour. L’important dans la vie, c’est l’amour. Avec tous les dangers qu’il comporte."

D'autres explications sont possibles, y compris des hypothèses venues d'en-haut, même si elles ne seront plus émises dans le langage religieux d'antan. Elles ont été formulées par Philippe Guillemant ou par Nassim Haramein. La folie de l'amour peut y être lue dans un contexte plus grand que le matérialisme de Edgar Morin...La vie ne s'y réduit pas à une oscillation entre la tragédie de notre folie (la raison) et la comédie de nos amours (les sens).

Il pourrait y avoir une tragi-comédie dans une Présence d'amour venue d'en-haut à repenser dans des catégories plus modernes, cela va de soi.

Ce presque rien ineffable échappe à la raison comme à toute main mise mais il est attesté par des aptitudes de la conscience: des sorties de corps, des états modifiés de conscience (OBE) ou encore des expériences de mort imminente (EMI).

Cette Présence d'amour est aussi assimilable au BUT en soi qui renvoie à une harmonie vibratoire spécifique en communion et en partenariat avec la Source ( la Matrice, "Dieu", l'Intelligence vibratoire suprême, etc.).

Fondamentalement, le temps c'est de l'amour a vivre, partager, concrétiser...

De cette conscience fondamentale dépendra la survie de l'humanité ou sa disparition!