Dieu, assurément, n’est pas un individu, mais les traits retenus ici pour caractériser la personne correspondent justement à ceux que nous utilisons pour qualifier Dieu : Esprit, liberté, élan créateur, amour . »  Cela suppose en réalité une approche tragi-comique de la sphère religieuse : l’autonomie du sujet n’y est pas absolue - le croire serait du plus haut comique!- et le réel ne se limite pas uniquement à l’immanent - le penser serait du plus haut tragique! Ce qui fait sens, c’est l’union de l’humain et du divin, dans une puissance d’innovation bien présente dans la métaphore de l'Univers connecté.

Pour vivre pleinement cet esprit, cette liberté, cet élan créateur et cet amour, le chemin, la vérité et la vie passeront par une acceptation particulière.

 

Sous le signe de l’angoisse.

Elle fait partie intégrante de notre condition humaine. Nous ne pouvons ni la fuir totalement – ce serait mensonge plutôt comique – ni prétendre ne pas y être sujet, ce serait une illusion tragique. Sommes-nous dès lors condamnés à la subir ? La tradition chrétienne nous propose plutôt de la vivre dans le tragi-comique du croyant à la fois juste et pécheur. Voici pourquoi.

 

Pierre Bühler – ancien professeur de théologie à l’université de Zürich -rappelle avec raison que nous sommes tous placés sous le signe de l'angoisse qui est fondamentalement ce vertige qui me saisit devant l'incertitude et la fragilité de la vie : tout est possible, tout peut arriver, rien n'est garanti. Rien n'est absolument sûr ; l'avenir est inconnu : suis-je en conséquence irrémédiablement livré au néant ? Naît alors, de ce questionnement douloureux, une double angoisse : celle de la faute – de mal faire - et celle du possible – de mal choisir - qui toutes deux engagent ma responsabilité. Avec pour conséquence la tentation de se perdre dans une résignation fataliste ou dans une culpabilité pesante, dans l'illusion hautement comique de pouvoir y échapper ou dans celle hautement tragique de les maîtriser. De les fuir ou de les subir en somme.

Nous le faisons quotidiennement dans la course à la satisfaction de nos besoins et dans le divertissement pascalien.

 

Comme l'écrivait G.van der Leeuw, dans son étude de la phénoménologie de la religion :  il y a chez l’humain un désir profond de ne pas accepter simplement la vie qui lui est donnée ; il y a donc recherche de puissance – et surtout de sécurité - pour avoir une vie plus riche, plus profonde, plus ample  dans une quête du tout tantôt accessible tantôt inatteignable ; elle est expérience particulière, éprouvée, vécue mais aussi révélation jamais entièrement expérimentée dans la vie, référence à quelque chose d'étranger ou d’absurde qui traverse – et dépasse - le chemin de notre humanité en venant contester nos raisons de vivre et nos attentes. Vivre réclame donc un Ce-sans-quoi nous serions livrés au néant, à la mort, aux forces du chaos.

Nous sommes ainsi en recherche permanente de sécurité, de confort, de pouvoir, d'argent, de savoir, de gloire et de jouissances à tout va!

Une recherche bien difficile à combler car un besoin satisfait en suscite un autre à satisfaire. La ronde est sa fin. L'ouvrage est à remettre sans cesse sur le métier. C'est devenu une pression, une violence économique. Maurice Bellet le dit sans  ménagement: 

« (…) Le virus a muté. Sous le couvert d’une société tolérante et ouverte, la parole et le visage obsédants sont ceux de l’individu lui-même, dans le miroir déformant de la pub. L’économie dévore tout façonnant un homme en morceaux mal ficelés ; c’est la déshumanisation directe par un pouvoir sans visage. Il n’y a que le Réel et ce qu’il peut t’offrir ! Montée en jouissance et en puissance, envie compulsive, succès par le meurtre et l’annihilation d’autrui. Une urgence d’appétit qui ne connaît que la hâte de la satisfaction. Triomphe de l’infantile, négation de l’angoisse, absence totale dans un bonheur surfait. Les malheurs et les douleurs de la vie sont seulement ce à quoi l’on ne pense pas, ou qu’on subit comme une bête.

(…) Le système dominant avale tout en termes marchands, dans le triomphe de l’immédiat, de l’affectif, dans la fuite de tout questionnement. C’est le magma culturel. Le Grand Tout et Rien de la Jouissance. »

 

Nous avons aussi notre bug humain: Notre striatum, " ce nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d'égo" ne semble pas en mesure d'être muselé par notre cortex, notamment la partie qui gère, modère et planifie nos tentations.

Le bug humain concerne aussi l’articulation entre l’égo, le mental et l’être.

Comme aime à le dire Eckart Tolle, " la structure même du soi égotique comporte un besoin d’opposition, de résistance et d’exclusion destiné à maintenir le sentiment de séparation dont Le soi égotique dépend sa survie. C’est donc « moi » contre « l’autre », « nous » contre « eux ». L’ego a besoin d’un conflit avec quelque chose ou quelqu’un."

En mode automatique, nous avons 4 comportements de base issus du circuit de la récompense et de la punition: le comportement de consommation, de fuite, de lutte et d'inhibition. Et 8 peurs: La peur de l'inconnu, du rejet, de se tromper, de l'échec, la peur de réussir, du changement, de l'engagement.

Tout cela nous habite en arrière fond...

 

  • Qu'est-ce que l'homme dans la nature, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit? Blaise Pascal, contemporain de Galilée, se laisse interroger par les propos du savant. Il comprend que l'homme n'est plus la mesure de toute chose, qu'il est à situer entre l'infinité du monde qui le hante et le néant d'où il est tiré. Cette tension dit la grandeur de notre condition et sa misère: nous devons vivre entre deux extrêmes sans pouvoir les réconcilier. S'agissant de Dieu, l'honnêteté nous pousse à voir trop pour nier et trop peu pour s'assurer. Toutes choses sont des mystères, des voiles qui couvent Dieu.
  • Peut-on au moins alors aspirer à exister par soi-même dans une nature qui n'offre plus d'ordre signifiant?

Concilier le je rationnel avec le je existentiel ? Rien n'est moins sûr car le je reste tiraillé entre une vision d'infini et un moi changeant et fini, souvent despotique, qu'il faut fuir pour se distraire; c'est le divertissement pascalien. Tout est bon pour s'évader de cette tension incontournable.

  • Pour Pascal, l'humain pense avec le cœur au sens biblique  comme siège de l'intelligence, de la connaissance et de l'expérience. Le cœur peut-il conjuguer l'intime et l'infini ? Mener à l'expérience d'une attente et d'un manque, d'un vide infini ? Pascal propose que Dieu se laisse rencontrer dans l'amour agapè: c'est là que l'infini et l'intime peuvent se rencontrer. Dans le pari, la vérité d'une conscience, d'une liberté appelée à une communion infinie dans la grandeur du don désintéressé.
  • En mode automatique, instinctif toutefois, c'est plutôt la quête égocentrée qui prend le dessus: cela nous fait vivre dans la recherche du contentement, l'évitement de la douleur ou de l'échec, dans la fuite, la lutte ou l'inhibition, et surtout dans la consommation.
    En mode automatique toujours, nous chercherons également à obtenir satisfaction par différents moyens: la collaboration quand c'est possible, mais aussi, quand cela ne l'est pas, nous tenterons d'obtenir satisfaction par la ruse, la dissimulation, le mensonge, par le chantage, la dette imposée, la force ou le bluff! Rien de bien glorieux en réalité! Nous n'aimons guère en vérité être pris dans des tensions inconciliables: être forts et faibles, conscients et aveugles, actifs et passifs, mortels et insouciants, confiants et méfiants, etc. Nul ne peut pourtant éviter d'affronter son incomplétude.

  • L'expérience de l'incomplétude ( Thierry Magnin, DDB 2011)

    Notre saisie du réel voilé se fait , comme le signalait Edgard Morin, à travers des contradictions et paradoxes, des antinomies, des apories (des solutions incompatibles en tensions), ou encore des oxymores (deux sens contradictoires).Ce n'est pas une défaite de la raison mais une condition pour avancer: L'être précède la pensée. C'est ainsi que nous abordons le réel.

    Pour Tillich la foi nait de la tension entre la conscience de l'infini et l'impossibilité de le posséder. Et la rencontre divino-humaine est tout entière contenue dans ce qui sauve du désespoir ou de l'idolâtrie: seule la grâce divine le peut ! Elle seule nous permet de vivre sans être tiraillé par la vision d'infini dans un moi changeant et limité. Dans la saisie du sens, dans le signe, la grâce confère un nouveau regard. Elle éclaire la réponse humaine à l'appel de Dieu, la conjugaison des deux vouloir: l'un qui fait voir et l'autre qui fait vivre. Dans l'approche apophatique, Dieu demeure l'inconnaissable: nous pouvons seulement le rejoindre 1) dans l'ignorance , la reconnaissance qu'il surpasse l'être et la science, 2) dans une purification , une catharsis de l'emprise du connu, 3) une libération de toute emprise anthropographique et 4) une union mystique avec une toute puissance qui se donne dans l'amour et nous accueille dans le non-jugement et la non-imposition. Puisque le divin ne saurait être réduit aux images ou au langage, il se dira par-delà la raison dans l'intuition de l'Absolu, tout particulièrement dans la coïncidence des opposés. L'Un étant l'Absolu est insaisissable, tout comme l'unité pure, car nous sommes marqués par la différence, la pluralité et l'altérité des choses dans le monde. Le Christ sera coïncidence entre la divinité et la créature, gage de liberté dans une alliance humano-divine. Dieu y sera l'essence de l'essence, il reste l'inconcevable qui vient toutefois à notre rencontre, nous dire qu'il a besoin de nous, lui qui n'a besoin de rien ! Il sera en Jésus Christ, la nouveauté d'une médiation inattendue…Nous y goûtons dans la coïncidences des opposés, mais toujours dans des moments particuliers, des tiers inclus ou des sauts qualitatifs. Rien à voir donc avec la triade hégélienne de l'être, du non-être et du devenir.
    Le tiers inclus conduit à la recherche de niveaux de réalité par des moments unitaires en lien avec l'Un inaccessible, le voilé qui se dévoile en partie. Dieu est le traversement de l'UN en toutes choses, de sorte que toutes choses soient ce qu'elles sont. Il est donc à la fois le tout autre et le plus intime en tout.
  • Dans l'alliance, l'altérité radicale demeure: l'homme ne devient pas Dieu pas plus qu'il ne peut se fondre en lui, mais il est convié plutôt à expérimenter la vie en Dieu. Il peut le faire parce qu'il est aimé: c'est l'amour divin qui est le cœur, le souffle la flamme du partenariat. Cet amour est non-imposé, totalement gratuit et en cela il nous permet une vraie altérité, d'être pleinement nous-mêmes dans la mise en œuvre de l'alliance. Le péché sera en conséquence rupture ou refus de cet amour gratuit, volonté de se prendre pour dieu ou de le chosifier.
    Le tiers inclus fonde le couple altérité- unité qui fait de l'amour divin une co-création. De même la rédemption est donnée par la victoire de Jésus sur la mort et le désespoir: la croix illustre les enjeux contradictoires: la puissance / l'impuissance, la haine et l'amour, la séparation et la pleine communion; elle révèle pleinement l'homme et Dieu, dans le refus de toute punition, vengeance ou maltraitance.
    Le tiers inclus manifeste aussi une création continue, permanente et non-achevée dans l'alliance qui appelle l'humanité à l'amour-agapè: s'abandonner à Dieu, consentir à cet appel et devenir pleinement soi-même sont des dimensions unifiées. Mais le déjà-là reste le pas-encore-achevé. L'amour-agapè vient bousculer les couples antagonistes: ordre et désordre, continuité et rupture, tradition et innovation, sacré et sainteté, déterminisme et liberté, déterminé et indéterminé, etc. Mais fondamentalement, l'amour-agapè me fait sortir de l'esclavage du mortifère; il est sortie hors de…, exode volontaire. L'unité se fera dans le bonheur de donner-recevoir librement consenti…
  • Par l'expérience de l'incomplétude, le chercheur expérimente une plus juste union entre raison et vision, entre déduction et intuition, dans un renoncement joyeux et audacieux à une compréhension exhaustive et définitive du réel. La complexité est certes faite des interactions et des connexions, mais elle est aussi et surtout faite des relations qui font exister l'homme dans toutes ses dimensions corporelles, psychiques et spirituelles: relation au cosmos, à l'évolution, à la nature, aux autres, à l'histoire sociale, économique ou politique, et questionnement de la juste relation à toute chose. L'union de l'Un-Origine se fera équilibrage: du masculin-féminin, de l'entropie-néguentropie, du je et du nous, de l'individuel et du collectif, etc. La relation reste première et mystérieuse.
  • Nous pouvons certes combattre cette expérience de l'incomplétude: la nier, nous fâcher contre elle, la fuir, la subir ou l'ACCEPTER!

 

Elle est censée permettre aux humains  de se sentir humain,  d'être en accord profond avec une manière d'être et de vivre en humanité, dans une plénitude qui dépasse toute catégorisation; foi commune par-delà les sociétés et les cultures; elle devra être mondialisée, assumer le développement des sciences et de la technique comme progrès et menace; elle sera lucidité: personne n'est naturellement bon, aucun régime social ou politique ne peut mettre fin à nos dérives et faiblesses, mais les humains peuvent trouver des chemins de sagesse, d'amour et de vérité.

Cette foi pourra se faire accueillante dans la diversité de ses expressions parce qu'elle s'oppose d'abord au pessimisme, à la résignation qui se complet dans les angoisses et les violences humaines. Cette foi se voudra non dogmatique, ouverte au dialogue et à l'expérience, soucieuse d'appeler, en responsabilité éthique, aux respect des différences. Elle sera confrontée aux tensions opposées: le désir et le devoir, la révolution ou l'évolution, le besoin et l'envie. Elle sera réintroduction de l'espérance au quotidien (Dieu) y compris dans tout ce qui s'oppose à la foi en l'humain. Elle sera dans la rencontre, dans le respect de l'autre, le souci et le soin, le regard, l'écoute, la main qui soutient et qui donne et non dans la défense de théories passionnées ou de croyances. Nul besoin d'ajouter Dieu: seuls comptent le dégagement de l'inhumain, le chemin vers la vie bonne. L'obstacle est dans l'avidité, la cupidité, tout ce qui est désordre, désirs incontrôlés, rivalités, etc. La naïveté transcendante s'y oppose avec fermeté, elle le fait sans concession. La foi en l'humain sera don et respect de lois dans le souci d'un bien commun. Elle sera sortie de l'illusion, de ses jeux stériles et hypocrites, sortie de l'hostilité, de l'indifférence, de la prétention hypocrite; combat contre les religions et les idéologies, lutte surtout contre la violence qui veut anéantir la vie: pulsion de mort donc y compris dans la pseudo obéissance sadique ou masochiste à un crucifié! La foi en l'humain osera affronter notre condition d'être pour la mort justement dans la transgression de cette sombre pulsion qui nous constitue. La foi en l'humain sera attention critique, dérivation de la source noire convertie en puissance de vie qui engendre et répare. Elle réalise l'universel en allant sans se résigner vers ceux qui détruisent dans le manque, l'aberration et la faute. Elle sera ouverture, accueil sans juger de l'humain, mais néanmoins sortie des bassesses et des destructions au-delà de la sagesse, de la bienveillance ou du consensus mou et bienséant. Cette foi sera relation dans la présence concrète de l'autre: pas une image, un dogme, ou un objet de foi. Une invitation à quitter en moi la violence de la source noire. Comme l'a osé Jésus Christ. Nous serons comme lui dans le dépassement de tout enfermement dans des idées, des institutions ou des pratiques codées. Cette foi est à chercher en l'homme. Le lien avec la Source est comme une icône qui nous incite au service et au don. C'est donc dépassement: ouverture à ce qui dépasse toute vue et toute emprise, chemin en vérité vers ce qui donne vie. C'est vrai aussi de nos projections sur un dieu dont la toute-puissance ne nous laisse finalement guère de liberté, et celle qu'il nous laisse servira de motif à condamnation si nous ne sommes pas conformes à sa volonté. Cette représentation est violence, souvent liée à la peur de la damnation, source de la culpabilité outrancière. La foi en l'humain se fera au contraire concrète: surgissement d'une parole qui met en mouvement qui se rend possible ou nécessaire dans l'instant comme une évidence pour soi. Pour ceux qui désirent croire en Dieu, le défi reste le même, car tout est fait et à faire pour que l'humain soit dieu et la vie bonne.

Cette foi nous questionne tous et ne tolère aucune neutralité: sortir de la Nuit s'impose mais c'est un chemin vers soi et vers l'autre, une quête de ce qui réconforte et nourrit: donner plutôt que revendiquer et dominer; aller vers au lieu d'attirer dans; offrir sans imposer. Fin de cette tristesse qui est le fruit de cette violence subie ou pratiquée.

 

Cette approche me semble compatible avec la Science Unifiée de Nassim Haramein,

Que faudrait-il créer, attirer, repousser en priorité?

Maurice Bellet nous dirait ceci: La sagesse d'amour sera forcément humble, l'opposé du sans-amour, « un presque rien mais d'une puissance infinie »  qui connaît que l'absence d'amour est l'abîme.

" Oui, la miséricorde est toujours choquante, tout comme l'humilité, le dévouement pour les autres, la générosité, le don, l'accueil ou le soin consenti les uns pour les autres: Jésus a vécu ainsi voulant débloquer ce que l'angoisse humaine et religieuse avait bloqué; ce fut un électrochoc salutaire  qui ne doit pas nous faire oublier toutefois que "la paix et l’harmonie sont toujours à inventer, à construire, à cultiver. Elles demandent effort, combat, engagement. Elles n’arrivent pas parce qu’on a supprimé les motifs de désaccord, mais parce qu’on a appris à les gérer autrement que par la violence (Maurice Bellet)."

Cette sagesse d'amour, cette primordiale tendresse nous recommande d’aller du côté de l'amour comme foi, sans la jouissance d'aimer ni même la jouissance de sa foi. Non pas un amour mystique car il resterait dans l'illusion ; ici, l'amour inconditionnel est feu, premier, absolu, sans dépendance, sans prétention : ce grand manque commun qui demeure dans l'urgence d'être comblé. Une présence dont l'absence est brûlure. Cette lumière incite à demeurer dans le don, le pardon, la suprême innocence qui traverse tout, la générosité qui espère sans point d'appui tout en se disant, intraitable, au cœur de la Ténèbre. Une aventure infime et infinie, l'origine originante de tous les possibles que rien n'épuise ni ne mesure. Foi envers autrui, foi envers soi-même, avancée vers l'horizon de la vie heureuse : la Pacification. « Finalement, finalement, vous ne devez, nous ne devons craindre qu'un ennemi, un seul ennemi : la sombre tristesse qui envahit tout et défait le lien merveilleux qui nous donnait d'être un en nous-mêmes et un avec nos proches, jusqu'à l'infini. Un seul ennemi : cette tristesse de ténèbre, cette amertume qui hait la naissance et la vie ; car c'est de ce gouffre que sortent les cruautés, les abandons, les replis, les angoisses. De là sort l'extrême, l'inhumain— l'inimaginable froideur des organisateurs de massacres. »

Lhumaine tendresse na pas pu se dire ; elle ne s’est pas incarnée pour libérer du jugement et devenir cette douce présence qui nous fait sortir de l’enfermement.  « En vérité, toujours demeure en l'homme (en vous comme en moi) puisqu'il vit, au moins une légère trace, un reflet de ce don qui précède tout et qui fait que malgré tout nous pouvons nous réjouir d'être nés.

Heureuse rencontre, d'une parole qui nous éveille là! Cela est vrai de toute vie, même si nous ne savons pas comment, même si celui qui la vit est jour après jour dans la ténèbre. »

 

L’humour libérateur

    Comment vivre une vie de relations marquées par l'anti-puissance, par l'anti-meurtre, par une manière de vivre bénéfique pour autrui ? Cette tâche éthique n’est-elle pas globalement au-dessus de nos forces ? Elle le sera si nous tombons dans le piège de la tension entre l’absolu et le relatif qui nous invite sans cesse à relativiser ce qui ne devrait pas l’être – l’absolu – et à rendre absolu ce qui devrait rester dans le domaine du relatif. Souvent, cette tension se traduit par des sentiments pesants, comme par exemple l'impuissance, la résignation, le soupçon, la haine ou la révolte. En de tels instants, l'humour peut fonctionner comme un principe libérateur, comme recadrage bienheureux déchargeant le sujet éthique du poids psychique des inhibitions, des aveuglements tout en lui procurant le plaisir d'un rire ou d'un sourire libérateur.

 

Sur un plan plus personnel, la tension de l’humour et de l’amour se vit comme une tragi-comédie. Kierkegaard suggérait que l’humour est le passage par lequel le croyant doit passer lorsqu’il retourne dans le monde pour y vivre et y agir coram Deo en tant que pécheur- pardonné - justifié, à la fois fort et faible, juste et pécheur, capable d’imaginer la référence ultime sans pouvoir lui être totalement fidèle, un croyant qui sait avec reconnaissance avoir besoin de l'amour divin, de la grâce divine et de son pardon libérateur.

Ce travail de l'humour aux confins de l’amour reconnaissant protège des idolâtries et des faux sérieux : c’est le travail qui consiste à toujours préférer ce qui est saint, juste ou bon pour toutes et tous, à ce qui est sacré, car tout peut être déclaré sacré (la religion, le travail, l'argent, le parti, la nation, etc.) et déclencher des violences.

Ce distinguo sera un travail salutaire pour la foi, si elle veut demeurer lucide et sereine en même temps. La lucidité pourrait nous conduire au désespoir, en ouvrant devant nous les abîmes de la conscience aigüe des limites et de la bêtise humaines. La sérénité pourrait nous bercer d'illusions et nous faire croire que nous sommes déjà sur la bonne voie en dépit des difficultés. Nier qu’une sérénité soit possible est hautement tragique, fuir la lucidité est hautement comique.

Seul l'humour nous permet de tenir ensemble dans ce monde la lucidité et la sérénité, d'aimer ce monde, soi-même et les autres, dans l'esprit de la lucidité sereine ou de la sérénité lucide: de voir du beau et du bon autant qu'il se peut, présent ou à venir. De préférer oser la bienveillance et la bientraitance, encore et encore. De chercher à être dans une juste relation avec tout, tous et toutes.

Nous serons forcément défaillants, pris en flagrant délit d’exagérer ou de minimiser, de juger, de condamner de réduire l’autre à une caricature, ou à l’inverse de l‘idéaliser. Pris en défaut de générosité, de charité ou de compassion. En lutte pour monter sur la première marche du podium, ou tenter par l’effacement de se faire oublier. Les occasions de faillir, de rater la cible des relations marquées par l'anti-puissance, par l'anti-meurtre, par une manière de vivre bénéfique pour autrui ne manquent pas ! Nous retomberons forcément dans les travers humains du non-amour : dans nos délires et désirs narcissiques, sadiques ou masochistes. Dans le besoin éperdu de sécurité, de confort, de pouvoir, de gloire, de richesse, d'épanouissement personnel ou de jouissance à tout-va! Nous aurons donc grand besoin de pratiquer l’humour, de consentir à cette tension tragi-comique qui permet une secondarité, de prendre distance et de ne pas tout ramener au Seul, à nos aises et plaisirs, nos intérêts du moment ou notre épanouissement personnel.

Cela étant, toutes les formes d’humour ne se valent pas ; « L’humour est la politesse du désespoir », assurait Oscar Wilde. Pour Freud, il était « la plus haute réalisation de défense de l’homme ». Quand l’humour n’est pas un outil de décentration, il devient une fin en soi permettant de goûter immédiatement le bien-être et de s’assurer la sympathie des autres.

Il peut être aussi détourné par les esprits caustiques, utiliser pour se moquer, se gausser, ou encore comme autodérision. Cet humour-là se transforme alors en un exercice purement égoïste visant à mettre l’autre à distance.

Il peut être mystification, volonté de tromper, de berner (quelqu'un de naïf), s'utiliser généralement pour s'amuser à ses dépens ; Sinon, blague, canular, farce, fumisterie, etc. souvent tendancieuses et gratuites. En plus sophistiqué, elle sera répartie paradoxale pour dénoncer des présupposés, de faux accords ou de fausses complicités. C’est une manière de se dégager du besoin de partager des sentiments semblables de gravité par exemple face à l’épreuve ou face à la fragilité.

L’humour peut être enfin un pouvoir pervers basé sur une volonté déguisée de toute-puissance ; il se cachera souvent derrière une pirouette du genre « c’était pour rire ! » Nous le retrouvons en politique qui émaille un discours de plaisanteries ou dans l’humour vache, grossier et méchant qui fait dans le règlement de compte déguisé ; l’ascendant sur autrui par le rire peut mener à la manipulation. En effet, comment reprocher quoi que ce soit à quelqu’un qui nous fait sourire ?

D’ailleurs, peut-on rire de tout ? Faire de l’humour raciste, négationniste ? Franchement, le doute est permis !

L’approche du rire salvateur  n’a évidemment rien à voir avec ces formes perverties.

Il est au contraire une pratique de la lucidité sereine et de la sérénité lucide dont le but est de nous conduire à cette VIE bonne pour toutes et tous, où il est bon d'être né-e, bon de se traiter mutuellement avec respect, dans la non-violence et la non-ingérence.