Comme l’affirmait Paul Ricoeur, la portée de la psychanalyse est d’ordre archéologique : elle cherche les vestiges, les réalités souterraines de l’humain recouvertes d’épaisses couches de sédiments qui seuls pourront dire vraiment qui je suis. Ma vérité est donc tout ailleurs que je le pense au quotidien. Le succès de cette théorie est peut-être lié à l’espoir qu’ainsi on ne me renverra pas à ma responsabilité dans le monde mais plutôt aux causes de mon sombre désenchantement, de mes insuccès ou de mes échecs existentiels, signes par excellence d’une non-liberté indépassable. Chacun ayans son inconscient constitué tout jeune, de manière unique, nul ne peut prétendre ne pas être aliéné : au mieux nous aurons l’espoir de moins souffrir en nous adaptant mieux à notre environnement. Et il faudra évidemment un tiers éclairé pour nous guider sur la bonne voie. Mais, il le fera avec des concepts douteux. Ainsi pour Freud, l’énergie psychique du rêve provient des stimuli externes qui n’ont pas pu être assimilés entre raison d’un conflit interne entre les instances du ça, du moi et du surmoi, et qui réveillent un désir inconscient ; or, on sait aujourd’hui que cette énergie provient de l’activité électrochimique du cerveau. Pour Freud, les aspects sensoriels et sémantiques du rêve étaient fonction du censeur capable de transformer le contenu latent refoulé en contenu manifeste voilé. L’imagerie cérébrale montre bien une stimulation des aires sensori-motrices et cognitives du cerveau via notamment le centre de la mémoire – l’hippocampe -, l’amygdale – le centre de la peur- et le cortex. C’est là que s’élaborent nos rêves en fonction de ce que nous avons vécu dans la journée, en fonction de l’activation de la mémoire à long terme. Pas ailleurs, nous savons également aujourd’hui qu’hommes et femmes ne rêvent pas de la même manière : ces dames s’en souviennent mieux, avec une présence des deux sexes, mais elles rêvent plus souvent d’agressions tournées vers elles ; ces messieurs se souviennent moins bien de leurs rêves qui mettent souvent en scène des hommes, des bagarres et du sexe.
Les rêves sont divers et variés : Pas étonnant puisque nous fonctionnons à 3 cerveaux :

Seul le néocortex a besoin de se débrancher durant 2 minutes par nuit durant le sommeil paradoxal. Nous rêvons alors avec nos deux autres cerveaux…
 Nous savons également désormais que la mémoire procédurale joue un grand rôle dès la naissance : un bébé âgé de 2 mois a mémorisé le toucher ; à 8 mois, il sait qui fait partie de ses proches ou non, il sait retrouver un objet caché (il a acquis la permanence de l’objet) ; à 13 mois, il se souvient une semaine après de 3 actions mémorisées ; à 18 mois, il se reconnait dans le miroir et peut engranger des souvenirs autobiographiques mais cette faculté ne deviendra disponible que vers 5 ans, âge ou il peut commencer à associer des souvenirs avec des solutions aux problèmes rencontrés.

 

Qu’en est-il du désir et de la libido ?


On sait aujourd’hui que la chimie du désir sexuel est produite par la testostérone qui est l'hormone du désir aussi bien chez l'homme que chez la femme. Sa diminution provoque une baisse de la libido et de la fertilité, des troubles de l'érection mais également un manque d'énergie musculaire et une extrême irritabilité ; la source de cette impulsion comme résidant dans la substantia nigra, située dans le tronc cérébral. « Cette substance noire est le point de départ d'une voie nerveuse qui se termine dans la région limbique émotionnelle, région qui va produire le mouvement vers l'autre personne, quels que soient le sexe ou l'orientation sexuelle concernée », explique Serge Stoléru.
Si les circuits neuronaux empruntés sont les mêmes pour les deux sexes, quelques différences entre hommes et femmes persistent. En effet, selon Philippe Brenot, anthropologue, le point de départ du désir masculin serait davantage sensoriel, en raison d'un déclenchement rapide du réflexe érectile sur une simple stimulation visuelle ou tactile. « En général, le désir féminin est beaucoup moins réflexe, explique-t-il. Il est très dépendant de circonstances amoureuses qui laisseront s'installer un état de disponibilité permettant les modifications génitales de l'excitation. L'ensemble de cette chaîne relationnelle, affective et sensorielle, est beaucoup plus lent à se mettre en route, d'où le fréquent malentendu entre le surgissement quasi immédiat du désir masculin (l'érection) et l'installation progressivement complète du désir féminin. » « Le désir est influencé par différents stimuli qui peuvent provenir de l'autre (physique, attitude, paroles…), de soi-même (bien-être, tenue sexy, pensées érotiques…) et du contexte (ambiance de la chambre, harmonie sexuelle, endroits insolites…) », résume Valérie Doyen. Cette chimie du désir est complexe et sollicite de multiples zones cérébrales dont celles liées à la prise de décision et au système de récompense ; cette zone est en lien avec le thalamus. Celui-ci est non seulement reconnu pour participer à nos réponses émotionnelles, mais aussi pour avoir de nombreuses connexions avec d’autres régions du cerveau responsables du contrôle de la dopamine, de la noradrénaline et de la sérotonine, trois neurotransmetteurs importants pour la régulation de l’humeur. Plus spécifiquement, il semble que le cortex préfrontal latéral nous aide à choisir un comportement en nous permettant d’évaluer mentalement différentes alternatives ; que le cortex orbitofrontal nous permet de réprimer certaines émotions ou gratifications immédiates en vue d’obtenir un avantage encore plus grand à long terme ; et que le cortex ventromédian est un des lieux où les émotions et le sens des choses seraient expérimentés.
Définir Eros n’est donc pas chose simple surtout quand il y a en plus agression : Une étude réalisée sur 51 femmes montre que les traumatismes sexuels ou émotionnels subis dans la petite enfance entraînent un amincissement du cortex cérébral (zone du traitement de toutes les sensations). Il en résulte une modification de la perception de ces abus et des informations qui y sont associées. Selon l'information diffusée le 4 juin 2013 par l'université McGill (reprise le 5 juin 2013 par Radio-Canada), “les scientifiques ont émis l’hypothèse selon laquelle l’amincissement de certaines régions du cortex cérébral pourrait résulter de l’activité des circuits inhibiteurs, que l’on peut interpréter comme un mécanisme de protection du cerveau permettant à l’enfant d’occulter l’expérience initiale, mais susceptible d’entraîner des problèmes de santé plus tard dans la vie”.


Le désir va concerner aussi toute la vie émotionnelle : « Ce qui caractérise les neurosciences du désir, outre la neuroimagerie, c’est qu’elles s’inspirent directement des recherches en neuro-économie, reprend Cynthia Kraus. Celles-ci conçoivent le cerveau comme un système de prise de décision qui évalue des options à l’aune de récompenses (à désirer) et de punitions (à éviter). Le paradigme du désir est donc le désir d’argent, et le paradigme de la récompense est le gain financier. On peut se demander si l’idée que le désir sexuel est une chose à optimiser n’entre pas dans une résonance troublante avec l’impératif de performance et d’auto-réalisation, qui génère ses propres pannes : dépression, mais aussi « troubles » du désir féminin, pour lesquels le dernier médicament, l’Addyi, n’est autre qu’un antidépresseur recyclé… »


Le point de vue freudien est ici très réducteur : La libido procède d'une animalité basique de l'être; il faut différencier la vie (l'être) et l'énergie (le travail).
Le psychotique n'a qu'une libido du Moi axée sur un retour narcissique infantile.
La névrose libidinale provient d'un conflit ancien non résolu entre la pulsion et son interdit moral. Elle se fait par projection, transfert, création d'un moi idéal à travers un modèle admiré ou à travers l'idéal du moi qui aboutit à un surmoi forcément inatteignable. 

Rien n’est aussi mécanique ! Les métaphores conceptuelles de Freud sont tout au plus des outils symboliques désuets basées sur des données scientifiques inadéquates ou dépassées. Chaque élément devait être remis en perspective avec la science contemporaine : la pulsion de vie, de mort ou le surmoi. Tout est infiniment plus complexe !

Cette complexité nous rend aussi fragiles:

Nombre de choses peuvent s'expliquer autrement: Les personnes victimes de violences répétées - 20% des femmes et 8% des hommes en France - présentent de grandes difficultés à gérer leurs émotions: elles peuvent avoir des comportements paradoxaux orientés vers la destruction de soi ou de l'autre. Leur personnalité est fragmentée.Elles présentent des phénomènes de déconnexion psychique appelés dissociation qui survient quand il y a hyperstimulation des amygdales situées dans le cerveau émotionnel; cette sollicitation va déconnecter le cortex cérébral qui nous permet d'analyser et de contextualiser les événements. Il s'en suit des comportements excessifs et addictifs: autoagressions (suicide, mutilations), prises de risques (conduite, sexe, etc.), boulimie ou anorexie, jeux d'argent, achats compulsifs, adhésion à des mouvements violents, à des sectes, actes violents, délinquance…

L’illusion du déterminisme. Sur un plan simplement logique d’abord, le philosophe Pierre-André Stucki signale la contradiction centrale du déterminisme : quand ce dernier veut rendre le monde intelligible, il ne peut le faire qu’en s’appuyant sur la conscience humaine dont il lui faut pourtant dénoncer la fausseté de principe. Mais s’il le fait, le voilà contraint à devoir « témoigner d’un minimum de respect à la conscience de soi ». Du coup, il ne peut plus prétendre tout expliquer ! « Il lui faut avouer ses limites, et s’en tenir au cas où ce qu’il désigne comme cause est bien un phénomène, au même titre que ce qu’il désigne comme effet. » Tout semble alors être ramené à des effets de probabilités et de statistiques. Si une cause est suivie d’effets en un nombre suffisant, cela permettra tout au plus d’en déduire « une généralisation plausible, mais il n’y aura pas de quoi rejoindre la mentalité déterministe. L’humiliation devant la toute-puissance et, à sa suite, devant l’universelle causalité, a perdu sa raison d’être quand tout le monde se révèle seulement comme plus ou moins probable. »

En réalité, la physique quantique admet qu’il est impossible de prédire où sera une particule à l’instant t (temps) : elle ne peut le dire qu’à partir d’un effet statistique lié une accumulation de particules. L’indéterminé est donc à postuler mais avec lui aussi une influence venue d’ailleurs qui va donner vie ensuite à l’effet statistique.

Dans cette perspective, nous entendons favoriser les notions de visée intentionnelle, dans notre ancrage au corps et au monde, ce qui suppose le caractère irréductible du sujet et de l’objet. Ainsi, s’il est vrai qu’il n’y a pas de conscience sans cerveau, en revanche, la conscience n’est pas réductible à un état neuronal. De même, le réel ne peut prendre sens qu’à travers une conscience qui l’explore : si l’observation porte sur des phénomènes, elle ne peut prétendre explorer le réel en soi. Il en sera ainsi également dans le domaine interpersonnel car nous ne saurions nous connaître nous-mêmes sans la relation avec l’autre par qui le surgissement de notre ipséité est rendu possible et avec elle les expériences de la confiance, de l’autonomie, celles de la liberté et de l’amour notamment.

Nous sommes fondamentalement la suite de notre passé avec toutes les variables adaptatives imaginables, y compris les choix neufs ou nouvelles directions que nous prenons. Une grande partie d’entre eux émanent en effet de notre pilote automatique, de la partie « inconsciente » de notre psyché ; une autre surgit du bon usage de la raison ; mais ici, le terrain libertaire semble miné d’avance parce que notre conscience dépend entièrement, pour son orientation et ses choix mêmes les plus novateurs, de notre banque de données constituées par notre capacité à engranger de l’expérience, des souvenirs, des sensations et des faits. Coupée de cette banque de données, notre rationalité (esprit, intelligence, conscience biologique) patine totalement ; ce n’est pas un postulat mais bien le résultat des observations cliniques menées sur des traumatismes cérébraux. Là encore, un changement de paradigme est nécessaire : d’abord, s’il est vrai qu’il n’y a pas de conscience sans cerveau, en revanche, la conscience n’est pas réductible à un état neuronal ; ensuite si quelque chose peut nous rencontrer venant du futur, alors une conscience extérieure à notre univers à trois dimensions devient pensable ; l’Âme-Esprit, une Conscience cosmique émerge d’une mécanique supra-dimensionnelle. À travers elle, nous pouvons échapper à notre espace-temps et dès lors, nous ne sommes plus sous l’unique influence de notre passé-présent. Quelque chose nous rencontre, mais quoi ? Serait-ce uniquement les forces intrinsèques de la matière ou alors une Puissance, une Dimension supérieure ?

La science devra s'y résoudre un jour ou l'autre...