L'empathie

Maintenir un niveau de malheur supportable !
C'est ce que fait notre cerveau préfrontal en mode instinctif. Il est un des quatre centres de décision du cerveau humain. Il n’existe que chez l’homme et quelques espèces d’animaux… Sa spécificité? L’intuition, la créativité, la sérénité, la bonne prise de décision, etc. Il apporte des solutions inédites et performantes dans des situations complexes et inconnues, que les autres centres du cerveau ne peuvent résoudre sans douleur ni stress. Le préfrontal reconstitue à chaque instant la réalité; il a accès aux trois étages plus anciens du cerveau ainsi qu’à la mémoire… Le plus ‘conscient’ de ces étages est le néo limbique qui contient le mental, l’ego dans le sens courant du terme, cette grosse voix intérieure, ce monologue incessant qui dicte notre conduite, nous critique souvent, nous félicite plus rarement… Le néo limbique, siège de l’apprentissage, applique ce qu’il a expérimenté et conclu depuis notre naissance.

C’est un peu comme le gestionnaire de nos croyances, de nos valeurs, nos pensées, nos comportements conscients et inconscients. Dans le but de nous protéger, le néo limbique veut tout régler, tout décider. Parfait serviteur , il cherche à devenir le maître en cas de situation complexe et inconnue, en voulant à tout prix imposer sa décision – au lieu de laisser le préfrontal s’en occuper. Et dans ce cas, le préfrontal n’a d’autre solution que de ‘ déclencher le stress ‘ – qui est donc à la base le signal d’alarme au niveau corporel d’une pensée inadéquate sur le moment, tout comme la fièvre prévient d’un virus ou d’une inflammation, et la douleur d’un dysfonctionnement physique…

En reproduisant sans cesse les même schémas inconscients, notre esprit ‘néo limbique’ crée irrémédiablement la même réalité, cette ‘zone de confort’ pas si confortable que cela, mais que nous connaissons bien et quittons rarement, parce que l’inconnu fait peur… et comme le dit Thomas Dansembourg,

« Notre esprit fait tout pour nous ‘maintenir un niveau de malheur supportable’ ».

 

Il y a 200 000 ans, depuis l'Afrique, l'humanité partait à la conquête du monde. Elle détenait une arme secrète : son cerveau. Une machine à penser, à tirer parti de son environnement, à se reproduire et à dominer. Longtemps notre meilleur allié, notre cerveau risque aujourd'hui de causer notre perte. Car il existe un défaut de conception, un véritable bug, au cœur de cet organe extraordinaire : les neurones en charge d'assurer notre survie ne sont jamais rassasiés et réclament toujours plus de nourriture, de sexe et de pouvoir. Ainsi, nous sommes 8 milliards d'êtres humains sur Terre à rechercher encore et toujours la croissance dans tous les domaines. Pour ce faire, notre espèce hyper-consommatrice surexploite la planète, modifie son écosystème... et se met gravement en péril. Comment se fait-il que, ayant conscience de ce danger, nous ne parvenions pas à réagir ? Peut-on résoudre ce bug et redevenir maîtres de notre destin ? Oui, à condition d'analyser en chacun de nous et non plus seulement à l'échelon économique et politique ce mécanisme infernal qui pousse notre cerveau à en demander toujours plus. Savoir pourquoi notre striatum est incapable de se modérer est une question fondamentale dont vont dépendre certains des grands enjeux de nos sociétés et de notre planète. Car si environ 35 % du trafic Internet est consacré à des visionnages de vidéos pornographiques, cela signifie rien de moins que l’impact de l’appétit sexuel de nos striatums sur la planète Terre est de 150 millions de tonnes de dioxyde de carbone émises dans l’atmosphère chaque année, soit entre un cinquième et un tiers des émissions de gaz à effet de serre dues au trafic aérien. Selon certains analystes comme Anders Andrae, de l’université de Göteborg en Suède, les technologies de la communication pourraient représenter plus de la moitié de la consommation globale d’électricité à l’échelle de la planète en 2030. Sans le savoir, nous sommes comme les rats de James Olds et Peter Milner dans une cage munie d’un levier que nous pouvons actionner sans fin, sans réfléchir au fait que ce geste quotidien prépare une montée des océans qui engloutira des millions d’habitations dans les années à venir.

Notre striatum, " ce nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d'égo" ne semble pas en mesure d'être muselé par notre cortex, notamment la partie qui gère, modère et planifie nos tentations. Se priver provoque souvent d'ailleurs un effet rebond comme l'atteste les régimes minceurs. Il faudrait oser une autre stratégie à travers la méditation en pleine conscience par exemple qui permet d'être présent à ce que nous faisons, ce qui stimule la production de dopamine, un plaisir  obtenu différemment, un autre moyen de solliciter notre striatum. On peut aussi y lier le plaisir lié à une valorisation sociale...

Alors, l'empathie: mythe ou réalité?

« Une équipe dirigée par le docteur Cheng Ya-Wei de l'hôpital de la ville de Taipei a réussi, à l'aide d'une magnéto-encéphalographie, à démontrer l'existence d'une activité empathique dans le cerveau humain. L'aire qui contrôle l'empathie serait proche de celle qui contrôle le langage. Cette découverte pourrait aider à la création de traitements pour les patients autistes.

Les recherches ont été effectuées sur les neurones miroirs qui, lorsque l'on voit une action, réfléchissent une action identique dans notre cerveau afin de comprendre son comportement ou son état. L'expérience consistait à montrer deux images différentes, une personne agressée au couteau et une personne épluchant des légumes, à plusieurs patients. A la vue de la première image, leurs cerveaux réagissaient plus fortement qu'à la vue de la seconde. Cette activité a permis de localiser la zone empathique dans le cerveau. Dans le même temps la même expérience avec des patients autistes a généré des réactions du cerveau beaucoup moins importantes.

Les résultats de ces recherches ont été sélectionnés parmi les dix meilleures publications par l'Organization for Human Brain Mapping en 2007[1]. »

 

     Ce constat est étayé différemment encore par l’apport de la théorie des jeux : l’équipe du professeur J.P Delahaye, de l’université de Lille, a pu ainsi démontrer que, parmi douze stratégies évidemment combinables, seules deux d’entre elles permettaient aux joueurs d’arriver à leur fin : la stratégie donnant-donnant graduelle et celle du donnant-donnant avec seuil.

     Ces conclusions scientifiques ont trouvé un prolongement inattendu avec la découverte des neurones miroirs : « Les neurones miroirs sont des neurones qui s'activent, non seulement lorsqu'un individu exécute lui-même une action, mais aussi lorsqu'il regarde un congénère exécuter la même action. On peut dire en quelque sorte que les neurones, dans le cerveau de celui/celle qui observe, imitent les neurones de la personne observée; de là le qualitatif 'miroir' (mirror neurons).

C'est un groupe de neurologues italiens, sous la direction de Giacomo Rizzolati (1996), qui a fait cette découverte sur des macaques. Les chercheurs ont remarqué - par hasard - que des neurones (dans la zone F5 du cortex prémoteur) qui étaient activés quand un singe effectuait un mouvement avec but précis (par exemple: saisir un objet) étaient aussi activés quand le même singe observait simplement ce mouvement chez un autre singe ou chez le chercheur, qui donnait l'exemple[2]. »

Cette découverte valide pour une part la théorie de René Girard relative au désir mimétique, mais nous indique aussi plus largement la nature paradoxale de toute imitation humaine qui peut être aussi bien une source d’intelligence ou d’empathie, donc de progrès, de facilitation de la vie, qu’un basculement vers la rivalité et la destruction. Cette découverte devrait nous inciter à prendre plus au sérieux l’apprentissage mimétique.

La biologie de l'attachement montre que nos formes de développements se font selon notre enveloppe sensorielle unique composée par les figures d'attachement spécifiques (donneurs de soins, personnages signifiants, institutions et récits culturels). Un même événement peut ainsi provoquer une catastrophe dans un certain contexte et aucune réaction à un autre moment.

[1]Source : http://www.techno-science.net.

[2]Source : http://www.automatesintelligents.com.

 

Quelles origines pour l'empathie ?

Dans une étude publiée récente publiée en janvier 2016 dans la revue américaine Science, des chercheurs ont mis en évidence le rôle de l’ocytocine, un neurotransmetteur, dans les comportements empathiques chez les campagnols des prairies. Alors qu’ils avaient tendance à consoler des rongeurs de leur “famille” soumis à du stress, les campagnols cessaient de les aider dès lors qu’ils étaient privés par les chercheurs de ce neurotransmetteur. 

L’ocytocine, en plus de son action sur l’allaitement et les contractions utérines, apparaît comme l’hormone de l’attachement, qui établit les liens protecteurs de la mère avec ses petits. Du point de vue phylogénétique, ces liens, en garantissant la sécurité des petits, favorisent la survie de l’espèce. En outre, l’ocytocine joue un rôle dans les liens sociaux et atténue la phobie sociale. Elle interviendrait dans le sentiment d’appartenance à un groupe et dans la confiance entre les éléments du groupe. Hormone de la confiance, elle augmente l’empathie et la générosité.

Elle est l'hormone de la monogamie, celle de l'orgasme, l'hormone de l'amour maternel et de l'attachement, l'hormone anti-stress dans les interactions sociales, celle qui permet la reconnaissance des visages et la confiance.

Les personnes autistes ,schizophrènes, phobiques, anxieuses ou dépressives en manquent cruellement…certains neurologues déterministes ont voulu réduire nos comportements via l'ocytocine et la vasopressine. Mais en réalité, les conditions du lien associent aussi bien la souffrance du manque avec le plaisir des retrouvailles, le bonheur et le malheur, la peur et la sécurité, l'attachement avec l'angoisse, l'apaisement avec l'alerte, à travers tous les couples opposés imaginables ! Le couplage de la peur et de l'euphorie favorise des comportements ambivalents destinés à favoriser des événements euphorisants dans une triste existence.

Si l'empathie est de nature, elle aussi à apprendre:

 

De l'empathie à l'altruisme chez les animaux

L’empathie n’a rien d’un sentiment propre à l’homme : elle est la capacité à percevoir et à se mettre à l’unisson de ce que ressent autrui. La peur, par exemple, est une forme d'empathie, et on la retrouve dans la nature sous forme de contagion émotionnelle (des oiseaux prenant la fuite en même temps par exemple). L’empathie est ainsi nécessaire aux interactions sociales, et elle existe notamment chez les animaux qui vivent en groupe, dits sociaux. 

"Lorsqu'on montre à des humains et à des grands singes des images chargées d'émotion, on observe des modifications similaires de leurs cerveau et de leur température périphérique, précise Carl Safina, auteur plusieurs fois primé pour ses ouvrages sur l’environnement, dans son livre Qu’est-ce qui fait sourire les animaux ? [...] L'empathie est automatique. Elle n'exige aucune réflexion. Le cerveau établit automatiquement la correspondance d'humeur et ne fait prendre conscience de l'émotion qu'ensuite. Les animaux qui jouent doivent savoir que l'individu qui leur court après et les attaque n'est pas sérieux : empathie. Comprendre l'invitation au jeu : empathie."

"Plus le cerveau est compliqué, plus il y aura des émotions raffinées et fines. C'est vrai pour l'émotion. C'est vrai pour tout ", précisait Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe.

Les animaux aussi sont capables d'empathie:

  • en 1996, au Zoo de Brookfield à Chicago, une femelle gorille a ainsi rapporté à l’entrée de l’enclos un petit garçon de 3 ans qui avait fait une chute de 6 m dans l’enceinte des primates, raconte Emmanuelle Pouydebat dans L’Intelligence animale
  • Matthieu Ricard, venu parler de la notion d’altruisme, racontait ainsi comment un bonobo nommé Kuni avait pris soin d’un étourneau : 

    L’oiseau avait percuté une vitre et était tombé par terre. Le singe l’a pris entre ses mains, a étendu ses ailes et l’a lâché pour voir s’il volait, puis il est monté sur une branche a écarté ses ailes et l’a lancé : l’oiseau est retombé. D’autres Bonobo s'approchant, il l'a repris pour le protéger…

  • Carl Safina relate ainsi plusieurs fois où des pachydermes sont venus en aide à des humains :

    Un berger s’était cassé une jambe dans un affrontement accidentel avec une matriarche. [...] Il a expliqué plus tard qu’après l’avoir frappé, l’éléphante s’était rendu compte qu’il ne pouvait plus marcher. A l’aide de sa trompe et de ses pattes avant, elle l’avait doucement déplacé un peu plus loin et l’avait adossé à l’ombre d’un arbre. L’effleurant de temps en temps de sa trompe, elle l’avait veillé toute la nuit, bien que sa famille ne l’ait pas attendue. 

  • Les comportements altruistes des éléphants ne semblent pourtant pas motivés par des mécanismes de survie lorsque ces derniers viennent en aide à d’autres espèces. En Inde, par exemple, il a été fait mention d’un éléphant utilisé pour enfoncer des poteaux dans des trous préalablement creusés. L’éléphant domestiqué a soudainement refusé de continuer sa tâche, jusqu’à ce que le mahout, son “guide”, réalise qu’un chien était endormi dans un des trous et ne le fasse partir. Après quoi l’éléphant a repris son travail.
  • la chercheuse Lucy Bates et ses collègues affirment ainsi que les éléphants sont capables de secourir ceux qui souffrent et de s’aider mutuellement. Des scientifiques ont pu observer des éléphants nourrir un congénère blessé à la trompe ou encore arracher les fléchettes tranquillisantes utilisées par les soigneurs. En 2013, au Kenya, lors du décès d'une éléphante nommée Victoria, trois groupes distincts d’éléphants sont venus défiler devant la dépouille, s’arrêtant plusieurs secondes avant de repartir.

 

 

Ainsi, l'Evolution semble bien avoir privilégié l'émergence de la compassion, de l'empathie et aussi - contrairement aux idées reçues - celle de l'entraide: