Redisons-le fermement: La loi de la vie n'est pas la loi de la haine, la loi de la force ou la loi des causes mécanistes ; celles-ci sont les lois de la non-vie, de la mort, de l'entropie. La loi qui domine la vie est la loi de la coopération tendant vers des buts toujours plus hauts, et c'est aussi vrai pour les formes de vie les plus primitives. Chez les humains, cette loi prend la forme de l'amour". Luigi Fantappiè

L'essence de la Vie, sa loi intrinsèque tend vers toujours plus de complexité, de coopération, de conscience, d'amour comme traitement de l'agressivité et de l'égocentrisme.

Il y a donc opposition, tension permanente entre le mortifère (la non-vie, la mort, l'entropie) et l'amour comme expression de la loi de la VIE (la néguentropie).

La vie nous encourage à aimer, elle ne fait que cela, elle nous encourage à sortir de cette tristesse-colère-dépit-injustice qui fait notre malheur.

Le défi est de taille, surtout s'il dépend de notre seule volonté humaine sans aucune Aide divine. Cependant, la Révélation primordiale qui

arrache toute chose au néant, ce presque rien qui fait toute la différence, pourrait être celle d'une Présence divine qui nous contre, nous respecte,  nous encourage à la Vie bonne pour tous à vivre dans l'amour du don et le don de l'amour librement consenti qui est ce que la plus haute et la plus noble dimension de notre humaine condition, à décliner aussi avec la compassion, la collaboration, la justice, l'entraide, l'empathie, le refus de faire souffrir et l'altruisme.

Par cette Présence ineffable, le Royaume des cieux ressemble à une personne qui se rend compte qu'elle ne viendra jamais à bout de ce qui pèse - la convoitise, la rivalité, la faute, la culpabilité et le perfectionnisme -, qu'elle n'atteindra jamais une image idéale d'elle-même qu'elle croyait nécessaire pour se rendre acceptable et aimable. Elle accueille alors son impuissance radicale; elle s'ouvre ainsi à l'avenir, à la nouveauté, à  l'autre/au divin avec confiance; elle renonce à expier son malheur par une vie de fuite, d'hypocrisie, de devoir ou de mensonge. Ici, la dynamique de guérison est bien une résurrection: laisser venir le courage d'oser être soi-même avec ses ombres et ses lumières en faisant face aux autres.

Thierry Magnin nous explique le mystère de la foi ainsi: L'Un étant l'Absolu est insaisissable, tout comme l'unité pure, car nous sommes marqués par la différence, la pluralité et l'altérité des choses dans le monde.

  • Nous y goûtons dans la coïncidences des opposés, mais toujours dans des moments particuliers, des tiers inclus ou des sauts qualitatifs. Rien à voir donc avec la triade hégélienne de l'être, du non-être et du devenir. Le tiers inclus conduit à la recherche de niveaux de réalité par des moments unitaires en lien avec l'Un inaccessible, le voilé qui se dévoile en partie. Dieu est le traversement de l'UN en toutes choses, de sorte que toutes choses soient ce qu'elles sont. Il est donc à la fois le tout autre et le plus intime en tout.
  • Dans l'alliance, l'altérité radicale demeure: l'homme ne devient pas Dieu pas plus qu'il ne peut se fondre en lui, mais il est convié plutôt à expérimenter la vie en Dieu. Il peut le faire parce qu'il est aimé: c'est l'amour divin qui est le cœur, le souffle la flamme du partenariat. Cet amour est non-imposé, totalement gratuit et en cela il nous permet une vraie altérité, d'être pleinement nous-mêmes dans la mise en œuvre de l'alliance. Le péché sera en conséquence rupture ou refus de cet amour gratuit, volonté de se prendre pour dieu ou de le chosifier. Le tiers inclus fonde le couple altérité- unité qui fait de l'amour divin une co-création. De même la rédemption est donnée par la victoire de Jésus sur la mort et le désespoir: la croix illustre les enjeux contradictoires: la puissance / l'impuissance, la haine et l'amour, la séparation et la pleine communion; elle révèle pleinement l'homme et Dieu, dans le refus de toute punition, vengeance ou maltraitance. Le tiers inclus manifeste aussi une création continue, permanente et non-achevée dans l'alliance qui appelle l'humanité à l'amour-agapè: s'abandonner à Dieu, consentir à cet appel et devenir pleinement soi-même sont des dimensions unifiées. Mais le déjà-là reste le pas-encore-achevé. L'amour-agapè vient bousculer les couples antagonistes: ordre et désordre, continuité et rupture, tradition et innovation, sacré et sainteté, déterminisme et liberté, déterminé et indéterminé, etc. Mais fondamentalement, l'amour-agapè me fait sortir de l'esclavage du mortifère; il est sortie hors de…, exode volontaire. L'unité se fera dans le courage de donner-recevoir librement sans chagrin ni contrainte…
  •  L'union de l'Un-Origine se fera équilibrage: du masculin-féminin, de l'entropie-néguentropie, du je et du nous, de l'individuel et du collectif, etc. La relation reste première et mystérieuse.

L'essence de la Vie, sa loi intrinsèque tend vers toujours plus de complexité, de coopération, de conscience, d'amour comme traitement de l'agressivité et de l'égocentrisme. Sortie impérative du mortifère, de cette tristesse-colère-dépit-injustice qui fait notre malheur.

 

LE DÉSIR MIMÉTIQUE ET LA VIOLENCE

La question fondamentale demeure ici : comment ne désirerais-je pas ce qu’un autre désire ?

         Selon René Girard, la forme ontologique du désir humain est mimétique. A ne désire pas un objet B pour ses propriétés particulières mais parce que C le possède. Il n’y a donc pas d’autonomie du désir mais une médiation : l’une externe (qui concerne l’inaccessible), l’autre interne qui fait de l’autre un modèle, un rival. " Seul l'être qui nous empêche de satisfaire un désir qu'il nous a lui-même suggéré est vraiment objet de haine. Celui qui hait se hait d'abord lui-même en raison de l'admiration secrète que recèle sa haine. Afin de cacher aux autres, et de se cacher à lui-même, cette admiration éperdue, il ne veut plus voir qu'un obstacle dans son médiateur. Le rôle secondaire de ce médiateur passe donc au premier plan et dissimule le rôle primordial de modèle religieusement imité. Dans la querelle qui l'oppose à son rival, le sujet intervertit l'ordre logique et chronologique des désirs afin de dissimuler son imitation. Il affirme que son propre désir est antérieur à celui de son rival ; ce n'est donc jamais lui, à l'entendre, qui est responsable de la rivalité : c'est le médiateur[1] .

" L’objet du désir s’estompe toujours au profit du médiateur. S’ensuit le schéma classique : désir – rivalité – crise. Cet aspect du désir mimétique peut prendre des formes diverses, réelles ou symboliques, qui se retrouvent dans une idéologie, l’imitation d’un modèle social, dans nos fascinations pour les produits de marques ou de luxe, etc. Le désir mimétique va de la simple convoitise en passant par la jalousie jusqu’à l’holocauste : il concerne la quasi-totalité des comportements individuels et collectifs depuis la nuit des temps. Cela veut dire, pour René Girard, que la civilisation repose en fait sur le meurtre, sur le mensonge, et sur la dissimulation de meurtre : "On ne veut pas savoir que l'humanité entière est fondée sur l'escamotage mythique de sa propre violence, toujours projetée sur de nouvelles victimes. Toutes les cultures, toutes les religions, s'édifient autour de ce fondement qu'elles dissimulent, de la même façon que le tombeau s'édifie autour du mort qu'il dissimule. Le meurtre appelle le tombeau et le tombeau n'est que le prolongement et la perpétuation du meurtre. La religion tombeau n'est rien d'autre que le devenir invisible de son propre fondement, de son unique raison d'être [2]."

L’apaisement se fait alors par le meurtre du bouc-émissaire. Toutes les civilisations et toutes les religions ont résolu ces crises mimétiques en désignant des victimes innocentes, des boucs émissaires, chargées de tous les maux et péchés du groupe humain pour ensuite les sacrifier. Ils étaient le pharmakon grec (le mal et le remède). Avec le temps, de tels simulacres ont été remplacés par des rites symboliques. Les mythes cependant sont l’archétype de ce mécanisme qui pousse les humains à dissimuler leur violence, ou à la rendre acceptable. Ils épousent en quelque sorte le point de vue des bourreaux, des persécuteurs qui voulaient voir en leurs victimes de réels coupables. Pour René Girard « le sacré, c’est la violence » et elle n’a jamais cessé : nous désignons sans cesse de nouveaux boucs émissaires en autant de coupables présumés. Jadis, cela se faisait spécifiquement à travers les récits mythologiques dont le but était d’effacer la violence, le meurtre d’origine, pour le transformer en quelque chose d’acceptable : " ... derrière le mythe, il n'y a ni de l'imaginaire pur, ni de l'événement pur mais un compte rendu faussé par l'efficacité même du mécanisme victimaire, mécanisme qu'il nous raconte en toute sincérité mais qui est forcément transfiguré par ses conteurs qui sont les persécuteurs[3] ."

[1]    René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, éd. Pluriel, p. 24-25.

[2]    Idem, Des choses cachées depuis la fondation du monde, p 244, éd. Biblio essai.

[3]    René Girard, Quand ces choses commenceront, p 42-43, éd Arléa, 1996.

L'essence de la Vie, sa loi intrinsèque tend vers toujours plus de complexité, de coopération, de conscience, d'amour comme traitement de l'agressivité et de l'égocentrisme. Sortie impérative du mortifère, de cette tristesse-colère-dépit-injustice-convoitise-rivalité qui fait notre malheur.

Comme le disait Placide Gaboury : « Nous sommes faits pour être harmonisés, en paix, créateurs et heureux. Nous sommes faits pour apprendre à aimer, nous sommes des centres d’amour et de compassion encore peu dégrossis, manquant de constance et de rectitude. La vie nous engage à aimer, elle ne fait que cela vraiment. »

La Source annonce la victoire de la vie sur la mort, de la lumière sur les ténèbres, la victoire de la bonté qui sera toujours plus profonde que le mal le plus profond. Dans la communion, il n’y est pas question de sainteté, de sacré ou de profane, de pur ou d’impur, de perfection pieuse ou morale ou d’appartenance sociale ; il est question d’une manière de transformer notre quotidien.

L'essence de la Vie, sa loi intrinsèque tend vers toujours plus de complexité, de coopération, de conscience, d'amour comme traitement de l'agressivité et de l'égocentrisme. Sortie impérative du mortifère, de cette tristesse-colère-dépit-injustice-convoitise-rivalité qui fait notre malheur. La Vie est accueil, gratitude et émerveillement en complicité avec la Source et notre Conscience universelle.