La concilience

Le dur métier d'humain.

Il consiste à devoir donner du sens à la vie alors qu'elle n'en a peut-être pas ! Si l'univers est une machine infernale à combiner les possibles, alors les humains sont un simple accident de parcours ! Tout finira par disparaître dans un Big Crunch ou un vaste trou noir. L'humain serait sa propre et unique finalité. Mais comment donner du sens quand les humains sont obsédés par leurs besoins de sécurité, de confort, de puissance, de gloire et de jouissances à tout-va ? En luttes et en convoitises permanentes les uns avec les autres ? Quand l'attrait pour ce qui est pris de force ou obtenu par ruse, mensonge, manipulation demeure vivace ? Tout semble relatif, absurde et vain. C'est alors le grand

sauve-qui-peut du chacun pour soi qui devient la loi des lois. Chacun sa vie, chacun ses goûts et ses idées ! Tout y serait lu de manière subjective.

Comme l'affirmait Françoise Dolto, « les humains ne perçoivent leur existence individuelle que par les entraves, les blessures et les mutilations qu'ils ressentent en leur corps et leur cœur. Ils "se fabriquent" par des émois contrés quand celui qui les contre est aimé, respecté, désiré. C'est cette expérience, cet affrontement qui, au jour le jour, déterminent leur histoire personnelle. »

Dans son livre intitulé De chair et d’âme (éd. Odile Jacob,2006), l’auteur nous dit : Nos chemins de vie se situent sur une crête étroite, entre toutes les formes de vulnérabilités, génétiques, développementales, historiques et culturelles, et les mécanismes de protection, de dépassement mis en place. À l'évidence, pour résilier un malheur passé, il faut justement avoir été vulnéré, blessé, traumatisé, affecté, déchiré...

Il y a résonance, interaction entre l'hérédité et le milieu : nos transactions, au fil de notre développement, sont de moins en moins biologiques et de plus en plus affectives et culturelles.

La biologie de l'attachement montre que nos formes de développements se font selon notre enveloppe sensorielle unique composée par les figures d'attachement spécifiques (donneurs de soins, personnages signifiants, institutions et récits culturels). Un même événement peut ainsi provoquer une catastrophe dans un certain contexte et aucune réaction à un autre moment.

Le bonheur est une idée récente née au 18 e s. mais elle est à inscrire en fonction de la notion corollaire du malheur ; le tout est en fait coloré par notre cerveau d'un sentiment correspondant. Une lésion dans l'hémisphère gauche provoque régulièrement des accès de mélancolie ; une représentation anticipée par un sentiment éveillé va solliciter des zones spécifiques ; certains neurologues déterministes ont voulu réduire nos comportements via l'ocytocine et la vasopressine. Mais en réalité, les conditions du lien associent aussi bien la souffrance du manque avec le plaisir des retrouvailles, le bonheur et le malheur, la peur et la sécurité, l'attachement avec l'angoisse, l'apaisement avec l'alerte, à travers tous les couples opposés imaginables ! Le couplage de la peur et de l'euphorie favorise des comportements ambivalents destinés à favoriser des événements euphorisants dans une triste existence.

 

Nous aurons dès lors à donner du sens en dépit de ce qui se présente à nous, des bonheurs et des malheurs de la vie. Il s'agira de concilier en soi, de manière harmonieuse, toutes les parties de soi qui nous habitent. D'unifier ce qui est fragmenté, déconcerté, explosé, dispersé, cassé, brisé...D'en constituer un ensemble cohérent et stable

(Thierry Tournebise).

Le défi est de taille, surtout s'il dépend de notre seule volonté humaine sans aucune Aide divine. Cependant, la Révélation primordiale qui arrache toute chose au néant, ce presque rien qui fait toute la différence, pourrait être celle d'une Présence divine qui nous contre, nous respecte, nous encourage à la Vie bonne pour tous à vivre dans l'amour du don et le don de l'amour librement consenti qui est ce que la plus haute et la plus

noble dimension de notre humaine condition, à décliner aussi avec la compassion, la collaboration, la justice, l'entraide, l'empathie, le refus de

faire souffrir et l'altruisme.

Oser le respect.

« Être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres (Nelson Mandela). »

L’irrespect, explique Stéphane Clerget, c’est ce besoin conscient ou irréfléchi de rabaisser l’autre, de le nier dans ses droits, dans sa liberté. Bien sûr, il peut se produire des conduites irrespectueuses totalement involontaires, mais dans l’ensemble cela procède toujours d’une volonté de toucher, d’atteindre l’autre, de le punir, l’empêcher, l’entraver, de le vomir ou de le dévorer, de faire le maître dans sa vie, de l’utiliser comme faire valoir, etc.

À l’inverse, le respect, c’est reconnaître à l’autre la même humanité, la même valeur qu’à soi-même.

Le respect est d’abord une attitude existentielle qui consiste à reconnaître que les opinions, les sentiments, les envies de chacun ont une valeur.

Ensuite, pour l’inspirer aux autres, nous devons oser dire oui et non, exprimer posément notre pensée, notre désaccord, partir quand une situation cesse de nous convenir, ne pas laisser autrui envahir notre bulle, notre espace vital. Il suffit d’« être ce que l’on est », résume Jean-Claude Liaudet. Mais qui sommes-nous vraiment, au-delà de ce que nous croyons ou voulons être ? C’est une énigme, quand notre histoire personnelle nous a tenus dans l’ignorance de nos vraies aspirations et de notre valeur réelle.

Une énigme que nous ne pouvons aborder justement qu’à travers les autres. Ici, la formule de Thierry Tournebise demeure vraie : nous sommes enclins en même temps « à nous protéger des autres pour parvenir à être Soi, et à en avoir besoin...car sans eux, le Soi ne trouve pas sa place. » Vivre « c'est sentir la vie en soi et autour de soi, c'est se percevoir et percevoir autrui. C'est savourer le bonheur de sentir palpiter l'existence dans ce qu'elle a de plus précieux et de plus intime. Qu'il s'agisse de peines ou de joies, ça palpite, ça se montre, ça se partage, ça se rencontre... »  

La plus grande barrière qui s’oppose à une communication mutuelle interpersonnelle est notre tendance toute naturelle à juger, à évaluer, à approuver ou désapprouver les dires ou les actes de l’autre personne, de l’autre groupe.

Lorsque nous écoutons avec compréhension, que nous acceptons de percevoir l’idée et l’attitude exprimées du point de vue de l’autre personne, nous devenons capables de sentir comment elles agissent sur sa sensibilité, d’assimiler son cadre de référence à l’égard de la chose dont il parle, alors nous évitons cet obstacle.

Le second obstacle est justement lorsque les émotions sont les plus fortes , qu’elles nous submergent et dirigent nos actes ou nos paroles. Alors, nous ne sommes plus vraiment nous-mêmes. Ici, il y a opposition entre l'amour qui aime et le non-amour centré sur l'avidité du Seul ! La vigilance est donc requise ici pour établir cette distinction car il y a toujours à se dépêtrer de l'illusion pour goûter à l'amour communion-tendresse, à la bienveillance.

Quand l'amour est blessé, il risque en sa déchirure, toutes sortes de démesures inhumaines : le silence, la rage, le froid, la jalousie, la culpabilité ou la honte, mais il devient surtout haine conjuguée en logiques infernales car la haine est l'amour lui-même devenu impossible qui se mue en destruction, en se déchirant du dedans en une tristesse sans fond ou en ressentiment effrayant. D'elle peut dériver une énergie extrême vers la frénésie de jouir, l'avidité, l'ambition, le sexe, le pouvoir, l’argent. Elle peut aussi mener à l'abattement complet, à l'échec à répétition, à la déception programmée ; la douleur de l'absence, celle de l'impuissance conduisent à vouloir détruire, ou encore à la résignation, à la dureté, à l'indifférence, au cynisme tranquille même si la brûlure demeure ! La logique infernale fait fructifier le malheur en autant de revendications et ressentiments.

On n’en finit pas de cette tristesse-dépit-colère-injustice- angoisse.

La formule de Thierry Tournebise demeure vraie : nous sommes enclins en même temps « à nous protéger des autres pour parvenir à être Soi, et à en avoir besoin...car sans eux, le Soi ne trouve pas sa place. »

« c'est sentir la vie en soi et autour de soi, c'est se percevoir et percevoir autrui. C'est savourer le bonheur de sentir palpiter l'existence dans ce qu'elle a de plus précieux et de plus intime. Qu'il s'agisse de peines ou de joies, ça palpite, ça se montre, ça se partage, ça se rencontre... » ; ça se vit en somme dans l'équilibre entre l'extériorité et l'intériorité. Comment y arriver ? Cela réclame, bien évidemment, un apprentissage et un travail sur soi-même. Nous aurons à repérer notamment nos attachements excessifs à des êtres, des biens matériels, à des attentes, des espoirs qui ne manqueront pas d'être une source de douleurs et de souffrances. Sentir la vie en soi et autour de soi exige une adaptation permanente : il s'agit de se remettre constamment dans la cible et donc de se dégager de ce qui pourrait compromettre cette noble intention.

Le but de la vie n'est-il pas de devenir soi-même? Quand une personne y consent, elle accède ainsi à l’acceptation entière d’elle-même dans sa complexité et sa richesse, avec ses ombres et ses lumières, dans la fraîcheur de son expérience et alors elle se fait confiance.

L'Univers y participe.

Si tout est connecté, nous aurons alors à concilier le caractère paradoxal de notre nature à la fois finie, déterminée et en même temps nourrie de l'essence qui compose tout l'Univers. Nous aurons à concilier le fini et l'infini, le biologique et la Conscience cosmique, l'humain et le divin, l'entropie et l'éternité de l'information qui ne peut disparaître. Tout est à revoir en privilégiant, si possible, la confiance et la gratitude.